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...:::Ansible:::...

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Tous les territoires de l'imaginaire, en vitesse supra-luminique. Chroniques sur le cinéma, la littérature, les jeux, séries TV, bandes dessinées.

Publié le par Ansible
Publié dans : #Films
Du Singulier majestueux au féminin viscéral

Je ne peux pas ne pas revenir sur mon Ode à la bête, malgré toutes mes bonnes résolutions. Car je suis restée sur ma faim en traitant du premier Alien, contrainte de laisser de côté sa nombreuse descendance et frustrée de ne pouvoir dire tout le bien que j’en pense.

C’est donc à Aliens : le retour que je m’attaque aujourd’hui. Le film de James Cameron sort en 1986, soit 7 ans après le chef d’œuvre de Ridley Scott, et dans un contexte cinématographique très différent. La science-fiction est à la mode, en ces années-là. Elle a aussi beaucoup changé, comme si le règne incontesté de La guerre des étoiles sur les écrans n’avait fait qu’accélérer sa mutation. Quand il est question pour lui de prendre la succession de Ridley Scott, J. Cameron est auréolé du succès de son Terminator, un film qui résume à lui seul la vision du réalisateur. Car si Ridley Scott est un remarquable styliste capable de s’adapter à (presque) tous les genres, James Cameron, pour sa part, est un homme d’obsessions. Et il va utiliser de manière assez inattendue l’univers d’Alien pour les incarner à l’écran.

Il part cependant avec un handicap de taille. La matière formelle du premier film (destiné à l’époque à n’être qu’un « tir isolé ») ne lui permet pas de jouer sur le même terrain, à savoir celui de l’angoisse pure. C’est pourquoi sans doute l’alien de Ridley Scott devient dans la vision de J. Cameron aliens au pluriel, c’est-à-dire la peur induite non plus par la menace dissimulée et inconnue, mais par la multitude. Il ne s’agit pas pour autant d’une trahison. Il s’agit de déplacer le combat sur un terrain que Cameron est sûr de maîtriser, et qui lui permettra de développer à son tour ses propres fantasmes. La question qui m’intéresse est de savoir comment il s’y est pris pour opérer ce glissement thématique sans dénaturer l’héritage du premier film.

Plantons un instant le décor. L’action d’ Aliens : le retour débute très exactement 57 ans après que Ripley ait expédié le monstre dans l’espace. Nous avions laissé l’héroïne en hypersommeil, errant dans le vide avec le mince espoir de voir sa navette de secours atteindre la terre. James Cameron reprend le fil tendu par Ridley Scott en basant sa séquence d’ouverture sur la découverte miraculeuse de la navette, et le sauvetage non moins miraculeux de ses deux occupants (Ripley et son chat). Commence alors un très long prologue qui voit Ripley reprendre pied dans la vie réelle, affronter l’ire de ses employeurs furieux qu’elle ait fait exploser leur cargaison près de 60 ans plus tôt, plonger dans les délices du choc post-traumatique à grands coups de cauchemars, et découvrir enfin que tout ce qui avait constitué son existence a volé depuis longtemps en éclats. Nous apprenons qu’elle avait une fille, et que cette fille est morte pendant son absence. Nous apprenons aussi que la fameuse Compagnie qui l’avait entraînée dans cette histoire n’est guère disposée à reconnaître ses responsabilités. Bref, le retour de Ripley sur terre est bien loin de constituer la « victoire » que nous, naïfs spectateurs, avions imaginé à la conclusion du premier film. A ce propos, il est intéressant de remarquer qu’en réalité, Ripley ne pose pas le pied sur la planète Terre elle-même ; son sauvetage, les soins dont elle bénéficie puis l’espèce de jugement que lui fait subir la Compagnie se déroulent dans les locaux froids et aseptisés d’une station orbitale. La saga toute entière se déroulera d’ailleurs hors de la Terre, faisant de cette dernière l’aboutissement rêvé, le havre peut-être, auquel Ripley aspirera jusqu’au dernier moment. Comme si le danger ne pouvait provenir que de l’étranger, et devait à tout prix être maintenu loin de nos racines (l’ironie étant, bien entendu, que Ripley n’atteindra la Terre qu’une fois devenue elle-même « étrangère »).

L’ouverture de James Cameron reprend donc très précisément chacun des points qui avaient donné son identité à la fois visuelle et thématique au premier film. Elle est lente, presque cérémonieuse, collant au plus près de Ripley et du désastre intérieur que celle-ci doit affronter. C’est sans doute à ce niveau que le réalisateur commence d’ores et déjà à s’approprier Aliens. Du personnage imaginé par Ridley Scott, il retient essentiellement le courage ; mais pour le reste, « sa » Ripley est avant tout un être dévasté qui n’aspire qu’à oublier tout ce qu’il a perdu. Il s’agit alors de la mettre en situation de devoir assumer ses pires craintes. Dans ce but, le scénario joue habilement avec ce qu’Alien, le 8ème passagerla Compagnie, bien sûr) décident alors d’envoyer un petit contingent de marines vérifier ce qui se passe là-bas, et leur représentant, un certain Carter J. Burke, est chargé de convaincre Ripley de les accompagner à titre de conseillère. C’est ainsi que démarre enfin Aliens : le retour. nous avait laissé deviner des pratiques managériales des grandes compagnies du futur pour contraindre Ripley à envisager son retour sur la planète où son équipage a découvert l’Alien. Nous apprenons à cette occasion que ladite planète, nommée Achéron (nous restons dans le symbolisme des noms caractéristiques de la saga), a été transformée en colonie de mineurs dont le travail est d’en rendre l’atmosphère respirable. Et voilà James Cameron débarrassé de l’irritante perspective d’équiper tous ses acteurs de scaphandres. Il va pouvoir se concentrer sur l’action, l’action pure, celle qu’il maîtrise le mieux. Comme par hasard, la colonie d’Achéron a cessé de répondre aux messages radio provenant de la terre. Les autorités (c’est-à-dire

La suite du film constitue, à mes yeux, l’illustration parfaite du talent de James Cameron pour l’action. Je n’ai pas l’intention de résumer ici les événements qui se succèdent à partir du moment où les marines atterrissent sur Achéron, je me contenterai de souligner l’incroyable montée de tension que le spectateur subit au fil de la progression des personnages. Car en tous points, Aliens : le retour prend le contre-pied  d’Alien, le 8ème passager. Alors que nous avions dans le premier opus sept personnages ordinaires soudain confrontés à l’inimaginable, James Cameron choisit de mettre en scène un groupe de soldats d’élites prêts à en découdre et sûrs de leur force. L’action en huis clos de l’original s’installe ici a contrario au coeur d’une vaste base courant sur plusieurs niveaux, dont les couloirs semblent sans fin et où le danger peut provenir de n’importe quelle ouverture. Quand il était question chez Ridley Scott de trouver un moyen de sortir d’un espace confiné, il devient chez James Cameron vital au contraire de fermer toutes les issues et de restreindre les zones d’accès. Là où les humains s’organisaient pour mener une chasse au monstre, ici, ce sont les monstres eux-même, multiples et intelligents, qui se transforment en meute et font des marines leur proie. Aliens le retour, double inversé d’Alien le 8ème passager, fait en quelque sorte le récit de son prédécesseur à l’envers. Et il fallait au moins cela pour nous surprendre, car le réalisateur n’oublie jamais que chaque spectateur dans la salle sait ce qui attend les marines inconscients. L’angoisse naît donc de l’accumulation du danger plutôt que de l’attente, du nombre plutôt que de l’unicité. L’Alien est devenu aliens. L’issue du combat n’en apparaît que plus incertaine pour les héros. Acculés et désespérés, ils en sont réduits à faire confiance à l'unique survivante de la colonie, une petite fille surnommée Newt qui semble avoir trouvé le moyen d’échapper aux monstres. Et c’est alors seulement qu’éclate le véritable dessein de James Cameron : montrer au grand jour le combat des espèces.

Mais pas n’importe quelle espèce, bien sûr. Car chez J. Cameron, l’espèce est avant tout une femme, une femme de préférence brisée qui reprend son destin en mains, une femme forte, donc, et chargée de sauvegarder à elle seule l’avenir de tout le genre humain. Le combat mythologique du premier Alien avait fait de Ripley une héroïne quasi-sanctifiée, opposant la blancheur aseptisée de sa tenue spatiale à la peau sombre et dégoulinante de la Bête immonde. Aliens : le retour s’empare du personnage tel que Ridley Scott l’a laissée, et le met face à son égal, ou plutôt son égale, autrement dit, la mère de tous les aliens. C’est ainsi que s’opère dans le film le glissement déjà lisible dans le titre. C’est ainsi aussi que nous passons du masculin au féminin, et que l’histoire devient tout à coup combat de métal contre griffes, de chair contre chair, d’une mère contre une autre.

 


    Pour en arriver à un tel affrontement ontologique, le film devra répondre à la seule question laissée en suspens dans le premier opus : d’où viennent les œufs d’Alien ? Et James Cameron d’ajouter alors au bestiaire propre à cet univers une de ses plus belles créations : la reine des aliens. Plus grande, plus rapide, plus dangereuse que tous ses enfants, elle est aussi d’une intelligence bien davantage que simplement humaine. La découverte par Ripley de, comment dire, la chambre d’enfantement de la Reineintimité. La Bête était jusque-là l’inconnue ultime ; elle s’incarne tout à coup de chair et de sang, de bave aussi, infiniment physique et infiniment proche de nous. Toute la dernière partie du film se concentre sur ce dernier point, sur l’horrible découverte que l’instinct maternel de Ripley devra affronter son exact pendant incarné par la créature dantesque qui enfante telle une machine biologique des dizaines de parasites ovipares.  Mère contre mère, deux espèces luttent pour leur survie respective. Et le combat filmé par James Cameron devient une ode mythologique à la puissance féminine dans sa nature la plus viscérale. constitue encore pour moi, après plusieurs visions, un véritable choc visuel. Car pour la première fois sans doute, l’alien ne nous est plus représenté dans l’horreur de ce qu’il accomplit sur les êtres humains. Non, ce que nous découvrons alors en même temps que Ripley (et avec la même incrédulité terrifiée), c’est la véritable nature du monstre, sa véritable



    Aliens : le retour permet donc à la quadrilogie de franchir une nouvelle étape. Nous sommes passés du monstre irréel et mythique à la prolifération dantesque des aliens sans que ceux-ci ne perdent rien de leur potentiel horrifique, ce qui est somme toute extraordinaire. Plus encore, l’univers de la plus parfaite créature cinématographique jamais conçue s’est enrichie d’une nouvelle figure qui s’inscrit idéalement dans la continuité du mythe. Avec un film bâti de scène en scène en double inversé de son prédécesseur, James Cameron a réussi à surprendre, et à ajouter une nouvelle dimension à l’angoisse, tout en développant ses propres obsessions.

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    Mais il est un dernier point que je souhaite aborder. Aussi surprenant que cela puisse paraître, il me semble qu’Aliens : le retour est le seul film de la quadrilogie construit sur l’espoir, voire sur l’optimisme. Présenter ce film comme le portrait d’une famille en cours de (re)constitution est sans doute une extrapolation abusive des intentions du scénario. Cependant, lorsque l’on regarde le film dans le contexte des quatre opus, il apparaît indéniablement que ce chapitre-là reste le plus positif de toute la saga. Là où le premier long-métrage faisait le vide parmi ses personnages pour permettre l’éclosion finale d’une héroïne inattendue, Aliens : le retour prend le parti de donner à cette même héroïne une parenté tout à fait surprenante, constituée pour l’essentiel de marines désemparés mais aussi et surtout d’une petite fille qui devient l’enjeu ultime du combat pour la survie. Nous sommes là en terrain plus que familier pour James Cameron, dont la plupart des films mettent en scène un petit groupe résistant au mal, quel que soit l’aspect de ce mal. Mais la conclusion ultime du film est bel et bien que Ripley, et par là-même, l’humanité, a gagné. Qu’elle a conquis le droit de survivre et de rebâtir. Une telle fin n’appelait alors, dans le déroulement de la saga et avec toutes les figures imposées qui la caractérisent, que l’explosion de l’illusion. Et pour schématiser, le troisième film sera chargé de dynamiter par le pire l’optimisme que James Cameron avait voulu insuffler dans l’univers d’Alien. C'est peut-être même la seule véritable raison de son existence au sein de la quadrilogie.

 

Bérengère.

 

 

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Publié le par Ansible
Publié dans : #Films

 

 

Hancock est un super-héros que personne n'aime. Il est malpoli, arrogant, et il essaie de noyer ses soucis dans l'alcool. De plus sa vie est inconnue pour lui avant 1927, date à laquelle il s'est réveillé dans un hôpital, menant une vie à la fois glorieuse et piteuse depuis 80 ans. Pourtant régulièrement les gens l'appellent pour éviter une catastrophe. Un jour il sauve un professionnel des relations publiques, Ray Embrey, d'une collision avec un train. Celui-ci lui propose sa collaboration afin d'améliorer son image. En rencontrant Mary, la femme de Ray, Hancock se sent irrésistiblement attiré par cette maîtresse de maison énergique. Responsable de nombreux dégâts, Hancock accepte de passer quelques temps en prison, dans l'attente qu'on l'appelle pour encore une fois sauver le monde.

Hancock a été initié par Will Smith pour incarner un anti-super-héros, casser son image de gars invincible qui sauve le monde à chaque sortie, comme dans Men in Black, I, Robot et Independance day. Hancock boit, sauve les gens, mais en faisant des dizaines de milliers de dollars de dégâts à chaque sortie. Très vite j'ai trouvé le film un peu dégoulinant de bons sentiments. Le seul véritable intérêt que j'y aie trouvé est les quelques sorties d'humour dont il est parsemé. L'interprétation, qui repose sur trois acteurs (Smith, mais aussi la délicieuse Charlize Theron et Jason Bateman), est plutôt bonne, mais cela ne suffit pas, selon moi, à faire de Hancock un chef d'oeuvre.
C'est juste un bon film qui n'aura servi à rien, ou presque, sauf peut-être à rappeler aux gens qui était John Hancock. En effet, lorsque Hancock (le super-héros) quitte l'hôpital dans les années 1920, on lui dit de faire son "John Hancock" sur un registre, c'est à dire tout simplement le signer. John Hancock a vécu au 18ème siècle ; ce fut un homme politique américain de premier plan, puisqu'il fut le premier à signer la Déclaration d'Indépendance des Etats-Unis. Depuis, "faire le John Hancock" est une expression courante. Etant amnésique, notre super-héros ne connaît pas cette histoire, et croit que c'est son nom. C'est celui qu'il a gardé au fil du temps.

Pour moi le film est sympathique, sans plus.

Spooky

 


 

 

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Publié le par Ansible
Publié dans : #Vie du blog
Vu sur le blog de mon amie Erwelyn : un appel à textes pour une publication de nouvelles ayant comme thème (ou cadre) la planète Mars. Reprenez la plume, les amis, Bérengère, Stéph, elveen, et ceux que j'oublie, je connais vos plumes, au boulot ! Pierig, je ne sais pas s'ils cherchent un illustrateur...

Faites-vous connaître auprès des deux anthologistes, les amis !

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Publié le par Ansible
Publié dans : #Livres

Je continue mon exploration de l’arrière-boutique de l’œuvre de JRR Tolkien, avec cet ouvrage paru il y a 4 ans, célébrant les 30 ans de la disparition de l’auteur du Seigneur des Anneaux. Dirigé par Vincent Ferré, Maître de Conférences en Littérature générale et comparée à l’Université Paris XIII, cet ouvrage se veut un jalon sur la recherche au sujet de l’un des plus grands auteurs du XXème siècle.

Les articles, rédigés par de nombeux chercheurs français, américains, britanniques, québécois et italiens, sont introduits par un article du directeur sur la réception critique de l’œuvre de Tolkien en France. Il est à noter que jusqu’en 1977, et donc la parution –posthume, car achevée par son fils Christopher- du Simarillion, Tolkien n’était perçu, en tant qu’écrivain, que comme l’auteur du Seigneur des Anneaux, paru pour la première fois 20 ans auparavant. A partir du Silmarillion, les choses changent. Tolkien n’est plus seulement un écrivain contant les aventures d’un groupe de personnes dans un décor de fantasy, mais un démiurge qui a non seulement jeté les bases d’un univers séduisant, mais surtout développé de façon encore jamais vue ledit univers, avec sa cosmogonie, sa chronologie, ses langues et sa mythologie. Une mythologie dont, selon Tolkien lui-même, l’Angleterre manquait cruellement. Son objectif était donc de réaliser cette mythologie.

Mais revenons aux sources ; le principal artisan de la découverte de l’auteur en France est Christian Bourgois, l’éditeur qui l’a publié en 1972-1973, soit juste avant la mort de l’écrivain. Fait cocasse, Bourgois a publié Tolkien sans le lire, se basant sur les conseils de Jacques Bergier, écrivain qui l’évoquait dans Admirations.


Après ces apéritifs, le recueil entre dans le vif du sujet avec une première partie intitulée Confluences. On y trouve une étude du fameux tournoi d’énigmes entre Bilbo et Gollum (dans Bilbo le Hobbit), inspiré par des œuvres plus anciennes, notamment issues de la mythologie nordique, grand champ d’étude de Tolkien. L’article suivant s’attache à analyser la place du Seigneur des Anneaux dans une tradition plus vaste, qui s’étend géographiquement à tout le continent eurasisatique. C’est la figure de l’anneau, ou du cercle, qui préside à cette tradition. Paul Airiau, historien spécialiste des religions, s’est lui attaché à analyser l’une des scènes les plus marquantes du Seigneur des Anneaux, à savoir la chute de Gandalf dans les ténèbres de la Moria. Il propose une lecture spirituelle de la séquence, montrant la présence d’un entité suprême qui a tiré les ficelles lors de ce seul évènement. Au travers de cette lecture, et d’autre, les chercheurs appuient sur un élément souvent ignoré dans l’œuvre de Tolkien : sa foi profonde, qui transparaît finalement assez peu dans ses écrits, bien moins cependant que chez son ami Clive Staple Lewis, auteur du médiocre Narnia écrit à la même époque. Cette influence de la religion et des traditions indo-européennes est également analysée à travers la présence et la lutte entre le Bien et le Mal dans toute l’œuvre romanesque de Tolkien (enfin du moins dans ce qu’on appelle le cycle d’Arda, Arda étant le nom du monde).

La seconde partie, intitulée l’Arbre et ses branches (quel beau titre) nous propose de rentrer plus précisément dans la trame narrative de l’œuvre. On commence par une enquête sur l’origine des langues inventées, ou plutôt adaptées par Tolkien. On y trouve une analyse fine, ainsi que des tableaux schématiques représentant les similitudes entre les langues d’Arda et l’évolution de la langue anglaise, depuis le proto-germanique jusqu’à l’allemand, le frison, le yiddish, les dérivés néerlandophones (hollandais, flamand, afrikaans), les langues scandinaves et bien sûr, l’anglais moderne. Michaël Devaux, agrégé de philosophie, nous propose ensuite une approche méthodologique afin de lire la somme romanesque de Tolkien. On apprend ainsi que l’auteur a réalisé plusieurs versions de ses œuvres (ce qui n’étonnera personne, vu que Tolkien n’estimait jamais ses textes comme finis), que le Silmarillion a connu une première version 60 ans avant sa publication finale, en 1977. Il est à noter que c’est Guy Gavriel Kay, autre auteur de fantasy connu, qui a aidé Christopher Tolkien à acherver la rédaction de ce recueil. L’œuvre de Tolkien est truffée de paradoxes, puisque Le Seigneur des Anneaux et Bilbo le Hobbit sont des textes publiés mais non définitifs, et que l’Histoire de la Terre du Milieu et le Silmarillion, en particulier, sont des textes définitifs (si l’on fait confiance aux continuateurs du Maître), mais non autorisés par l’auteur.

Au cœur de ces mélanges survient –et ce n’est pas innocent- l’analyse de l’un des textes les moins connus de JRR Tolkien, Feuille, de Niggle. Ce court récit ne prend pas place dans le cycle d’Arda, mais se pose en fait comme une sorte de manifeste de l’écrivain que tente d’être Tolkien. Jérôme Bouron, doctorant en littérature générale et comparée à Paris XIII, parle même de « testament poétique préalable », d’ »incarnation transparente de la théorie esthétique de Tolkien ». celui-ci livre dans ce récit ses peurs, son mode de pensée, ses réflexions sur son travail, se livrant un peu, mais finalement pas tant que ça. La longue métaphore au sujet de l’arbre et de ses ramures vaut à elle seule la lecture de ce petit texte, que l’on peut trouver dans Faërie.


L’ombre noire constitue la troisième partie du recueil. Comme vous vous en doutez, nous y trouverons les analyses (mais aussi les origines littéraires) de nombre de figures maléfiques présentes dans Le Seigneur des Anneaux, telles que les orques, les Êtres des Galgals ou les Spectres de l’Anneau, dont les origines ne sont pas toujours claires dans le récit. Le second article propose une lecture géographique du Mal, ce qui nous amène au dernier article de cette troisième partie, qui s’est penché sur le racisme chez l’auteur. On a souvent reproché à Tolkien des relents de racisme dans ses écrits, notamment dans la personnification ou la manière de s’exprimer de ses créatures maléfiques. C’est le voisinage temporel de la publication du Seigneur des Anneaux (en 1954-55, rappelons-le), qui a amené de nombreux commentateurs à faire ce rapprochement. Mais Tolkien a toujours clamé, et ce dès la montée du nazisme dans les années 1930, son dégoût pour ce phénomène. Rappelons également que ceux qui pouvaient incarner une pensée « raciste » (au sens où le définit Lévi-Strauss) le payent chèrement. Que l’on se souvienne du destin de Boromir pour s’en convaincre. Et rappelons le parcours de la Communauté de l’Anneau, qui rassemble des êtres très dissemblables, et qui au final poseront un regard rassembleur sur les autres (à cet égard, la relation entre Legolas et Gimli est exemplaire). En outre, l’imagerie peu subtile adoptée par Peter Jackson dans son adaptation contribue à brouiller ce message.

 

Curieusement un article concernant la figure du héros a été intercalé juste avant ce papier sur le racisme. Il relève la parenté d’Aragorn avec Beowulf, mais aussi d’autres figures classiques et/ou mythologiques. Frodo, à sa manière, participe aussi de cette tradition, dans la mesure où il est un personnage de petite taille, presque un enfant (y compris dans son aspect naïf), mais aussi un citoyen ordinaire, qui se retrouve propulsé dans une aventure trop grande pour lui. En cela il s’oppose à Aragorn, personnage épique par excellence, qui était resté caché pour apparaître ensuite en pleine lumière et accomplir son destin, que l’on croit glorieux. Or la fin de ces deux personnages est loin d’être classique, ni même heureuse, en ce qui concerne Frodo. C’est à la lecture de ce type de réécriture des mythes que l’on peut dire, sans exagérer, que Tolkien a non seulement réactualisé nombre de figures classiques, mais les a également refondées.

La quatrième partie propose une lecture des relations entre Tolkien et les arts. Dans une œuvre à portée épique comme Le Seigneur des Anneaux, il est intéressant de noter la place des couleurs. Ainsi dans le roman le gris et toutes ses nuances tiennent-ils une place prépondérante. Le texte suivant se propose de faire une analyse des deux films de Peter Jackson. Oui, j’ai bien écrit « deux », car à l’époque de rédaction des différentes contributions, seuls deux des trois films étaient sortis. C’est là que réside, à mon goût, la grosse faiblesse de ce recueil : à trop vouloir coller aux « trente ans », les chercheurs se sont privés de la possibilité de juger, analyser et comparer les trois films réalisés par le Néo-Zélandais en short. Comment, en effet, être satisfait face à ces analyses incomplètes ? Cependant la critique (si tant est qu’on puisse la qualifier ainsi) est assez bienveillante, dégageant des axes de réflexion par rapport au rôle tenu par Jackson.

Pour conclure ce recueil de très bonne facture, on trouve un entretien avec John Howe, l’un des deux (avec Alan Lee) meilleurs illustrateurs de l’univers tolkienien, et qui a contribué étroitement aux effets visuels (créatures, décors) de la trilogie sur grand écran. Une introduction très intéressante sur la manière dont il conçoit l’illustration, presque instinctive chez lui. Pour finir, Anne Besson, Maître de conférence dans l’Université d’Artois, propose une première approche sur la façon dont l’œuvre de Tolkien a influencé les cycles de fantasy contemporains, approche dont la conclusion est qu’aucun n’a vraiment su, pour l’heure, se délivrer de son modèle, et qu’en plus celui-ci a fourni les bases pour de nombreux jeux, une influence dont on reparlera.

 

Au final, j’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce recueil concernant l’un de mes auteurs préférés. Au-delà du simple hommage, il contient énormément d’informations permettant de lire entre les lignes, de dégager des influences, mais aussi les origines de nombreux éléments littéraires, et montre de façon très informée que l’auteur a posé les bases d’un genre littéraire entier – la fantasy-, et ce pour très longtemps probablement. C’est aussi un ouvrage qui se veut globalement de vulgarisation, accessible à tout un chacun un tant soit peu intéressé par l’œuvre de Tolkien et par le processus de création littéraire, même si certains essais sont plus difficiles d'accès que d'autres.

Tolkien, trente ans après (1973-2003) – Sous la direction de Vincent Ferré ; Christian Bourgois Editeur, 2004

 

Spooky

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Publié le par Ansible
Publié dans : #Livres

Le Procès de la sorcière (Le Chant de l’Oiseau de nuit tome 1) – Robert Mc Cammon.

Bragelonne, 2008.

 

Il est étonnant de voir comment des auteurs qui se sont fait un nom dans le domaine de la terreur, du fantastique ou de la SF sont capables d’investir un autre genre et d’y connaître la même réussite. Je pense à des auteurs comme Serge Brussolo, Jean-Pierre Andrevon ou Michel Jeury, pour ne citer que des Français. Nous allons étudier le cas de Robert Mc Cammon, journaliste et auteur américain qui s’est fait connaître dans le domaine de la terreur. Ces romans Scorpion ou le Mystère du Lac restent pour moi des souvenirs de lecture assez prenantes, dans lesquelles l’irrationnel était fortement promu par une écriture nerveuse et inventive. Mc Cammon a pris sa retraite d’écrivain dans les années 1990 (à à peine 40 ans), mais est revenu sur sa décision en lançant la publication du Chant de l’Oiseau de nuit, dont le premier tome, Le procès de la sorcière, sort aujourd’hui en France.

Les premières pages révèlent un style intact, et même meilleur que ce qu’il faisait précédemment, au service d’un polar médiéval de haute tenue.

 

Les citoyens de Fount Royal, petit village de Caroline, croient leur ville maudite par une sorcière. Comment expliquer autrement les incendies spontanés, les récoltes gâtées et les meurtres épouvantables ? Persuadés que la trop belle Rachel Howarth, la veuve du pasteur récemment décédé, est responsable de ces maux, ils la jettent en prison en attendant son procès et son exécution. Le juge itinérant Isaac Woodward vient bâcler l’enquête et présider un procès écrit d’avance, avec l’aide de son astucieux clerc Matthew, qui, en dépit de tout, croit à l’innocence de Rachel. Et ce qu’il va découvrir va en effet bouleverser ses croyances et sa vision du monde… Parviendra-t-il à sauver une innocente ? Ou va-t-il au contraire tomber dans le piège d’une femme aux charmes trompeurs et diaboliques ?

 

J’ai très vite été pris dans l’histoire. Pas forcément du fait de son sujet – que l’on nous présente comme se situant entre le Nom de la Rose et Sleepy Hollow-, mais plutôt par les éléments d’écriture que l’auteur y insère. En effet il prend le parti de bien nous présenter ses personnages, en particulier Woodward et Matthew, en leur installant qui un passé formidablement décrit, qui une zone d’ombre concernant son passé. Le tandem traditionnel des polars est ainsi réinventé, avec des postures narratives bien différentes. Ces deux personnages sont d’ailleurs les seuls, dans ce premier volet, à être ceux dans les pensées desquels le lecteur s’immisce. Là encore, cela donne deux points de vue parfois bien différents sur un même évènement, ce qui lui confère une importance accrue.

 

Le roman se situe en 1699, dans le sud de l’Amérique naissante, à une époque où la chasse aux sorcières battait son plein. Arkham, 18 exécutions, Salem, 25 exécutions. Qu’en sera-t-il à Fount Royal ? Fount Royal, où les preuves contre Rachel Howarth s’accumulent. Plusieurs habitants l’ont vue s’adonner à des pratiques contre nature avec le diable en personne. On a trouvé des poupées apparemment sacrificielles dans sa maison. Pourtant la plupart des témoignages semblent contenir une faille, une incohérence qui n’apparaît pas à première vue. Pendant ce temps, Fount Royal se vide lentement de sa population, Fount Royal se meurt. La disparition de la sorcière pourra-t-elle inverser la tendance ? Nombreux sont ceux qui souhaitent voir aboutir très rapidement le procès. Mais une affliction fiévreuse du magistrat et l’incarcération temporaire de son clerc retardent l’échéance, un répit que tous deux mettent à profit pour tenter d’élargir leurs investigations.

 

Le roman constitue la première partie d’une somme plus importante, puisque le tome 2 est prévu pour septembre (déjà !), et que l’auteur vient d’achever le tome 3. Le héros de cette somme est clairement Matthew Corbett le clerc. Intelligent, mais pas trop dans le sens où il est un peu téméraire, plutôt ouvert, c’est un personnage intéressant. Le roman est très prenant, car il nous plonge, comme je l’ai dit, non seulement dans les pensées des deux personnages principaux, mais nous permet également de suivre une enquête judiciaire telle qu’elle devait de passer à la fin du 17ème siècle. Comportant des éléments de modernité, c’est une époque encore engoncée dans une pensée obscurantiste, comme en témoigne la récente affaire de Salem. Mc Cammon n’appuie pas sur le registre fantastique, essayant de réaliser une étude sociologique plutôt fine d’une ville-utopie de cette époque, avec l’environnement correspondant. Il y a finalement assez peu d’action dans ce premier tome, puisque Mc Cammon pose les bases de son univers, très réaliste. Un classique, sous réserve de lecture de la suite.


A voir sur le site officiel du roman (http://www.leprocesdelasorciere.com/), une bande-annonce.


Spooky.

 

Retrouvez cette critique sur Babelio.

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Publié le par Ansible
Publié dans : #BD
Années 60. L’union soviétique investit des moyens considérables dans l’élaboration d’un sous marin d’exploration. Il ne transporte presque pas d’armes, mais est renforcé de manière à pouvoir supporter les pressions de profondeurs jamais atteintes. La mission ? Une mission archéologique de la plus haute importance. Mais elle échoue, tellement près du but.

Années 2050 : Au large des côtes syriennes croise le USS Nebraska, sous-marin nucléaire américain porteur des technologies les plus avancées. C'est durant cette paisible mission de surveillance qu'est découverte l'épave du vieux sous-marin soviétique gisant à proximité des vestiges d'un gigantesque sanctuaire. Le commandant décide d'envoyer deux équipes en reconnaissance. Tandis que celle chargée d'explorer le sous-marin russe revient rapidement, l'équipe partie dans le sanctuaire disparaît. La décision est prise d'aller récupérer les hommes manquants avant de regagner la surface.


C'est alors que certains membres de l'équipage commencent à présenter des troubles psychologiques, et qu'une mystérieuse épidémie se déclare à bord.

 


C'est à la faveur d'une réédition en intégrale que j'ai pu, enfin, découvrir cette série qui a tant fait parler d'elle.
BD Sanctuaire


Comment ai-je pu, au feuilletage il y a quelques années, décréter que ce n'était pas bon, visuellement raté ? Parce que là, je dois reconnaître que Christophe Bec a effectué un travail remarquable. Oublions les griefs concernant les reproductions de faciès d'acteurs connus, écartons l'aspect "statique" des postures des personnages, réfutons les couleurs sombres. Reconnaissons que certains visages ne sont pas très réussis, parfois pas reconnaissables d'une case à l'autre. Retournons l'aspect statique pour préciser que l'action se passe sous l'eau, ou sous terre, et que ces conditions entraînent une pression très forte. Les couleurs sombres sont elles aussi justifiées par ce cadre géographique, ou plutôt géologique. Moi j'ai pris mon pied en contemplant certaines pages, simples ou doubles, où Bec dévoile tout le gigantisme du Sanctuaire. Des façades cyclopéennes, des ambiances aussi réussies que dans Alien, une mise en scène plutôt réussie. Sur le plan graphique c'est une grande réussite. Un gag à envoyer à BoDoï : on nous montre une carte de l'Indonésie, alors que l'action se situe en Méditerranée, au large de la Syrie...



Quant au scénario, c'est une intrigue comme je les aime, amateur de fantastique que je suis. Là encore, l'ambiance est bien rendue, l'histoire monte crescendo, et plusieurs moments de "crise" ponctuent la narration. Un petit regret : la multiplication des personnages -malgré une ambiance de huis-clos- brouille un peu les cartes.

Bref, une grande réussite dans un style fantastique et paranoïaque, rarement égalée depuis.

Spooky.

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Publié le par Ansible
Publié dans : #Films
LEGER COMME UNE ENCLUME



Tony Stark est un homme comblé. Il est encore jeune (je dirais entre 30 et 40 ans), assez bien fait de sa personne, c’est un homme très intelligent extrêmement riche (il a hérité du groupe d’armement de son père. Mais au cours d’un exercice de démonstration de son dernier missile en Afghanistan, sa vie bascule. Il est enlevé par les Talibans, qui lui intiment l’ordre de refabriquer son missile (surnommé Jericho pour ses effets dévastateurs et définitifs) sur le champ. Avec l’aide de Yinsen, un autre prisonnier, il va en fait fabriquer une autre arme, susceptible de l’aider à s’évader, une armure volante faite de bric et de broc. Mais Stark doit également jouer avec le fait que son cœur a été gravement éprouvé dans son enlèvement, et qu’il doit se balader en permanence avec une alimentation électrique (au début, une batterie automobile) accroché à sa poitrine. Stark finira par s’évader, et ce qu’il a vu en Afghanistan le décide à donner une toute autre orientation à ses productions, tournant le dos à l’armement. Et comme il aime bien s’amuser, il passe les deux mois suivants dans son labo, à développer une nouvelle version, plus aboutie, de son armure. Mais ses ennemis n’ont pas baissé les bras…

Au début du film, j’étais inquiet. Pourquoi donc faire une démonstration de ses missiles en Afghanistan, alors que le pays n’est pas pacifié ? De même, réussir à construire une armure avec un prisonnier sorti de nulle part me semble bien extravagant. Autre point gênant : le film se veut bien sûr un réquisitoire contre les armes. En gros, le riche héritier qui s’amusait à inventer des ogives de plus en plus perfectionnés se rend compte que ça fait des morts, qui plus est des boys américains. Et ça, ma bonne dame, c’est inacceptable. Bref, au terme de la première bobine, la morale et les bases scénaristiques ne sont pas exemptes de tout reproche.



Et puis paf ! Stark revient chez lui, toujours aussi oublieux des petites gens qui l’entourent (y compris Pepper Potts, son assistante, interprétée par la délicieuse Gwyneth Paltrow). Oublieux même des Conseils d’administration de son groupe, lesquels commencent à le croire pris de démence. A partir de ce moment, on bascule dans le film de divertissement de haut niveau. Le discours anti-armement passe au second plan (sur le sujet, je vous recommande Lord of War), on suit Stark aux prises avec ses ennemis de l’intérieur et de l’extérieur, mon aussi l’apprentissage de son armure volante. Place donc à des scènes aux effets spéciaux remarquables, que ce soient le vol ou la constitution de l’armure (avec un gag récurrent mais efficace concernant un robot-douche). A ce sujet, il faut remarquer que la séquence où Stark se fait « habiller » par son armure est intelligente. Là où d’autres réalisateurs auraient accroché 6 ou 7 morceaux (style Les Chevaliers du Zodiaque), Jon Favreau s’attache à nous montrer les différentes pièces (des milliers en réalité, mais habilement montrées) nous rappelant que c’est quand même complexe. Le film est alors très efficace, bien mené jusqu’à la fin, et finalement l’histoire on s’en fout un peu tellement on prend du plaisir.

Le plaisir, je l’ai dit, est du fait du réalisateur Jon Favreau (Zathura et Elf), à la fois appliqué et sobre, ce qui est souvent une qualité pour un film au sujet outré comme ceux des super-héros. Bien sûr il bénéficie de plusieurs atouts majeurs : des effets spéciaux impeccables et dont la présence se justifie totalement, un scénario qui arrive à marier introduction au personnage pour le grand public et séquences attendues par les fans (le syndrome X-Men a encore frappé – ceci est une remarque positive) et une musique fort réussie. Le film réserve pas mal de moments d’humour, mais suffisamment peu pour qu’on ne se sente pas dans une parodie réalisée par un fan-boy soucieux de s’amuser. J’ai déjà évoqué un gag récurrent, mais je citerai également l’aspect « enclume » de la première armure de Stark, très proche du design de la première armure du personnage de comics. Ah oui parce que je ne l’ai pas dit, ce film est la dernière adaptation en date (et certainement pas la dernière d’un comic de l’éditeur Marvel. Du coup, l’habituelle apparition de Stan Lee, créateur de nombreuses séries chez cet éditeur (et d’Iron Man en particulier), est assez savoureuse. Iron-Man est un film sérieux, appliqué.

Mais il y a, comme dans X-Men, la valeur ajoutée des acteurs, au premier rang desquels Robert Downey Junior, à mille lieues de ses rôles dans la série Ally Mc Beal et dans A Scanner darkly, ou encore Zodiac, pour moi les sommets de son interprétation (en attendant d’avoir vu Kiss kiss bang bang). Sa prestation est parfaite, à tous points de vue. A noter qu’en attendant Iron man 2, Downey Jr rejouera Stark dans le prochain Hulk, réalisé par le Français Louis Leterrier (qui sort le 23 juillet). L’acteur livre une composition parfaite, à la fois classieuse, joyeuse et intelligente, à l’image de son personnage. Juste à côté de lui se trouve Gwyneth Paltrow, dont la présence dans un film de ce genre ne doit rien au hasard, puisque le réalisateur a souhaité engager une actrice à mille lieues de l’imagerie bimbo pour incarner l’assistante attentive et secrètement amoureuse de Stark. Même si elle a des côtés un peu Mary-Jane de Spider-Man, Gwyneth Paltrow apporte toute sa retenue et son charme au rôle. Le troisième rôle du film est tenu par Jeff Bridges (Tron, Tucker, Fisher king), acteur éclectique lui aussi inattendu dans ce genre de production. Il apporte sa roublardise à sa place de conseiller spécial/mentor/meilleur ami du père de Stark.



Ce qui fait également le « plus » d’Iron Man par rapport à d’autres productions du même genre, c’est son côté profondément humain. Contrairement aux X-Men ou à Spider-Man, par exemple, il n’est pas un mutant, juste un homme qui bénéficie d’un équipement ultra-perfectionné. De plus il possède un problème de santé grave, puisque son cœur est criblé d’éclats d’obus et que sans un appareillage particulier il fait un arrêt cardiaque. Il fallait bien un acteur de la trempe de Downey Jr pour l’incarner, un acteur pouvant à la fois faire preuve d’élégance, d’humour et de failles, il n’en existe pas des masses… Ah, et dernier point qui ne gâche rien, le film, contrairement à un métrage comme I, Robot, par exemple, ne se présente pas comme une longue suite de publicités de grandes marques. Tout juste notera-t-on que les militaires de la surveillance aérienne utilisent des ordinateurs Dell, et que la superbe voiture de Stark est une Audi.

Bref, la vision de ce film a été fort plaisante. A vue de nez, Iron Man se classe parmi le trio de tête des meilleures adaptations de comics de super-héros, entre X-Men et Batman begins. Et que penser du fait d’aller voir les aventures d’une enclume volante en compagnie d’une personne qui se fait elle-même surnommer Enclume ?

Spooky.

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Publié le par Ansible
Publié dans : #Vie du blog


Vous vous sentez l'âme critique ? Vous avez envie de dire ce que vous pensez de tel ou tel bouquin ? Vous avez entendu parler des services de presse et ça vous dit d'essayer ? Masse critique est fait pour vous !

Non non, je n'ai pas été payé pour leur faire de la publicité, mais il se trouve que j'ai été contacté pour y participer. Le principe est très simple : le site reçoit des livres de la part des éditeurs, des livres précis. Vous vous inscrivez sur le site, puis vous choisissez le ou les livres qui seraient susceptibles de vous intéresser. Votre seule obligation est d'en faire une critique sur votre blog et sur Babelio. Visiblement pas mal de bouquins n'ont pas encore trouvé preneurs, alors si ça vous dit... A bientôt pour ma première critique en collaboration avec Babelio ;)



Spooky.

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Publié le par Ansible
Publié dans : #Livres

On considère souvent le roman principal de John Ronald Reuel Tolkien comme une oeuvre simpliste, destinée aux adolescents, prônant la violence. On en a fait aussi une allégorie de la Seconde guerre mondiale. Pourtant, quasiment depuis sa parution en 1954-55, nombre de chercheurs se sont penchés sur l'intertexte, sur ce qui se cachait derrière cette épopée se déroulant dans une contrée imaginaire, cette oeuvre qu'on a dit fondatrice de la fantasy.
Isabelle Smadja, docteur en esthétique et agrégée de philosophie, également auteure d'un très remarqué Harry Potter, les raisons d'un succès (PUF, 2001), s'est penchée sur le phénomène, dans la foulée du regain d'intérêt dont bénéficie Le Seigneur des Anneaux depuis 2001. Et nous permet d'entrevoir de nouvelles facettes de cette oeuvre qui a été désignée comme roman du XXème siècle par les universitaires anglais. Pour Isabelle Smadja, cet ouvrage tient plus du mythe que du conte de fées, en ce sens qu'il utilise de nombreuses figures métaphoriques, plus que la plupart des contes.

Pourquoi parler de tentation du Mal ? Parce que dans le roman le Mal est au coeur de l'intrigue. Cet anneau dont Frodon se trouve porteur cristallise de nombreuses figures classiques du Mal. C'est un énorme fardeau, mais son pouvoir absolu fascine, autant qu'il ronge l'âme. Cette dimension est rendue avec une incroyable clarté dans les épisodes introspectifs où Frodon enfile l'Anneau. Mais un anneau, c'est aussi une représentation d'un monde clos, un monde où la folie peut surgir à tout moment, provoquée par une exposition trop prolongée au Mal. L'anneau porte en lui d'autres significations : c'est également une alliance, et Gandalf parle souvent de l'Anneau comme d'une femme coquette et capricieuse, illustrant en cela un glissement de sens assez fin. Un anneau c'est aussi un objet qui nous enchaîne, dans un cachot humide, à un mur aveugle, nous empêchant par là même de nous échapper. L'Anneau Unique est tout cela, un objet précieux (comme le dit Gollum), le véhicule et la personnification d'une union, et bien sûr une prison, en même temps qu'un monde clos. Isabelle Smadja continue ensuite son exposé sur le mode de la séduction, une séduction, qu'elle soit bienveillante ou malveillante, qui court sur tout le roman, par petites touches qui passent inaperçues.

La seconde partie de l'essai s'attache à analyser les racines du Mal, un Mal personnifié, je l'ai dit, par l'Anneau Unique que Frodon et ses compagnons doivent convoyer jusqu'à la Montagne du destin pour le détruire, mais aussi dans Sauron, celui qui l'a créé, celui qui en est le propriétaire légitime, quelque part, celui auquel l'Anneau est intimement lié. Il y a des choses très noires dans Le Seigneur des Anneaux. J’ai déjà parlé du pouvoir de l’Anneau, qui corrompt irrémédiablement l’âme de celui qui le porte. Mais une partie du roman est constituée par la description de combats, qu’il s’agisse de simples embuscades entre quelques aventuriers et des créatures maléfiques, mais aussi et surtout une gigantesque bataille près du Gouffre de Helm. C’est l’un des morceaux de bravoure de l’histoire, car la violence est très graphique, et de nombreux personnages y prennent part. On a longtemps reproché à Tolkien de faire l’apologie de la guerre, et de vouloir, au fil de son roman, réécrire le second conflit mondial. C’est mal connaître l’auteur, ancien combattant pendant la première guerre mondiale, qui a imaginé la Terre du Milieu au milieu des tranchées en France. Cela donna The Hobbit (Bilbo le Hobbit en VF). Cependant on remarquera l’ambivalence des sentiments de Tolkien au travers des paroles de Pippin, qui souhaite vivement que les combats prennent fin, mais qui en même temps admire la prestance guerrière d’un allié qu’il vient de croiser. Plus étonnant encore, l’espèce de jeu guerrier auquel se livrent Gimli et Legolas, à la fois amis et concurrents, au-delà de l’inimitié ancestrale de leurs peuples respectifs, les Nains et les Elfes. Tolkien pousse l’ambigüité jusqu’à placer la mort de Saroumane juste après une tirade contre la violence et la peine de mort.

 

 

Isabelle Smadja revient plus précisément sur la portée symbolique de l’Anneau, en analysant brièvement les interprétations philosophique, métaphysique, historique, politique, économique et technique de ce petit objet. Je ne vous ferai pas subir de nouvelles tirades sur ces analyses, mais sachez que j’ai trouvé ça assez complet comme diversité d’analyse, bien qu’un peu léger, superficiel par moment. L’occasion est bonne, toutefois, pour évoquer tout aussi brièvement l’un des thèmes récurrents de l’œuvre tolkienienne, à savoir les méfaits de la technologie face à la nature. L’Anneau est le fruit d’une technologie (la magie noire aussi bien que l’art de la forge ont présidé à sa fabrication), et se trouve être le Mal personnifié, à la fois séduisant (comme peut l’être le diable) et pervers. C’est là le cœur de l’essai, et peut-être en effet l’essence même de l’œuvre maîtresse de JRR Tolkien.

 

 

L’essayiste s’attaque ensuite à l’un des personnages les plus singuliers de l’univers du Seigneur des Anneaux : Gollum. Lui qui fut autrefois un Hobbit, fut gagné par la folie le jour où son cousin trouva par hasard l’Anneau au fond d’une rivière. Après avoir tué ledit cousin, il partit en exil, son esprit devenant irrémédiablement dément, et se réfugia au fond de la terre, là où on ne pourrait le voir. Finalement son corps subit lui aussi la dégénerescence qui s’était emparée de son âme. Tolkien insiste bien sur le côté vil, veule, et finalement « bas », de ce personnage hors du commun. Pour Isabelle Smadja, il personnifie l’homme d’en bas, tel que le définit Pierre Macherey. Ce philosophe a remarqué, dans un grand nombre d’œuvres des XIXème et XXème siècle, des concordances au niveau de cette figure, de ce type de personnage. Souvent souffrance physique, misère (au sens économique du terme) et gouffre obscur. Gollum est également à rapprocher de Caliban, un être difforme et à moitié humain, dans La tempête, de Shakespeare. Le destin de Gollum est de portée biblique ; son histoire commence par un drame, il est chassé par les siens, et il meurt de façon tragique, au sens shakespearien du terme. Gollum est une sorte de transposition du Caïn de la Bible.

 

La troisième partie aborde frontalement l’un des reproches faits à Tolkien : le racisme latent dans ses pages. En effet le peuple orque est décrit comme une race aux noirs desseins, au langage désagréable et à la peau noire. C’est comme si on définissait une race, entièrement malveillante. Un reproche que certains ont pu faire en leur temps, aux Juifs, par exemple. Mais au-delà de ces préoccupations vraiment inutiles à mon avis (à la lecture du Seigneur des Anneaux, je n’ai jamais ressenti de dégoût lorsqu’un orque apparaissait), ce qui compte réellement est le background de ce peuple, comme de tous les autres peuplant la Terre du Milieu. En effet Tolkien s’est attaché à développer une langue, une mythologie, une histoire, une géographie plus ou moins précises pour chacun d’entre eux. Afin de les faire exister, en quelque sorte, dans un cadre beaucoup plus grand que le roman où on nous en parle. Comme si on était dans un monde bien réel, avec ses lois, ses personnes, son histoire… C’est en cela, je pense, que l’on peut vraiment parler d’"univers" concernant l’œuvre de Tolkien. Enfin, l’essayiste relève les passages où notre auteur met le lecteur, par l’intermédiaire de ses personnages, en garde contre les dangers de la réflexion, préférant les impressions suggérées par l’intuition.

 

Le dernier chapitre parle de l’omniprésence masculine dans Le Seigneur des Anneaux. Pas une seule femme parmi les 9 qui composent la Compagnie qui part aider Frodon dans sa quête. Très peu de personnages féminins, au final, dans le roman. On peut citer Arwen, Eowyn, Galadriel et Baie-d’Or, mais toutes n’ont chacune, pour faire un parallèle avec le cinéma, qu’une scène à jouer. Un grand nombre d’éléments dans le récit montrent que l’on est dans une histoire de mâles, comme le tabac (auquel l’auteur, de façon un peu désarmante, consacre un chapitre entier au début de son roman ; si un jour vous tentez de lire Le Seigneur des Anneaux, passez outre ce passage, il ne sert vraiment à rien), ou l’omniprésence des combats. Il y a tellement peu de femmes que les mâles finissent par se frotter entre eux. L’homosexualité latente entre Frodon et Sam est montrée presque explicitement à plusieurs reprises. Le dévouement du jeune fermier pour son maître s’exprime dans des élans presque sexuels. Pourtant Tolkien n’est pas misogyne : il aimait infiniment son épouse, et met dans la voix d’Eowyn un discours bouleversant sur la libération des femmes (oui, bon, c’est la seconde scène d’Eowyn, ça). Mais là encore, le discours de l’auteur est ambigu, puisque la jeune femme devient, après avoir livré bataille au côté de ses amis, une femme soumise et dévouée, presque effacée.

 

En conclusion ? Le Seigneur des Anneaux est un roman fascinant, dont il est difficile d’analyser tout l’intertexte, mais qui permet de cristalliser un certain nombre de figures rhétoriques. Il donne à ses lecteurs leur content de scènes violentes, de combats, tout en développant une psychologie assez habile sur l’attirance du pouvoir et la séduction du Mal. Isabelle Smadja nous propose également des analyses sur certains personnages, mais je trouve ces analyses assez fragmentaires, incomplètes. La figure de Gandalf, qui domine tout de même tout le roman, n’est qu’effleurée. De même, et malgré la brillance de certains passages notamment concernant l’Anneau, je trouve qu’elle n’approfondit pas assez son propos, restant souvent dans le hors texte, prenant en exemple des écrits de Foucault, de Lévi-Strauss ou Paul Ricoeur, des penseurs certes très forts, mais dont l’association avec Tolkien me semble parfois incongrue. Ceci étant dit, c’est un essai qui est très bien écrit, et une bonne approche de l’œuvre de Tolkien.



                                                                                             Spooky.

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Publié le par Ansible
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Ode à la Bête

 

    Sèchement mise en demeure, hier soir, d’expliquer une bonne fois pour toutes ce qui me faisait affirmer qu’Alien était un chef-d’œuvre, je me suis entendue bafouiller en réponse un assez pitoyable : « mais enfin, c’est évident ». Ce qui, somme toute, ne constituait ni une justification ni même le début du commencement d’une tentative d’explication, mais bel et bien une manière de clore la discussion. Avec, en plus, le sentiment toujours détestable pour autrui, d’avoir raison.

Seulement, voilà, il se trouve que je pense bel et bien qu’Alien est un chef-d’œuvre, et que je ne suis pas la seule à lui accorder ce statut. Lorsque l’on me demande pourquoi, c’est en général dans le but de souligner à quel point il est (ou serait) malsain d’éprouver une telle fascination pour un film aussi évidemment monstrueux. Hors tout jugement moral, cependant, je me dois de rappeler quelques qualités propres à ce film de 1979, ne serait-ce que pour donner une tonalité plus objective à mon opinion le concernant.

    Alien, c’est l’histoire de 7 personnages (plus un chat !) pris au piège dans un vaisseau spatial avec une grosse bêbête tout à fait hostile et tout à fait autre (d’où d’ailleurs le titre français : Alien, le 8ème passager). Une sorte de Dix petits nègres à la sauce spatiale, si l’on veut, avec cet avantage que, comme le proclame à l’époque le slogan du film, dans l’espace, personne ne vous entend crier. Autrement dit : accrochez vos ceintures, ceci est un huis-clos  dans les étoiles. Il y aura donc des morts (mais qui ?), des hors-champs (où est l’alien ?), des crises de nerfs (à la fois dans la salle et sur le plateau, d’ailleurs) et des affrontements.

Voilà donc comment l’on peut résumer l’intrigue du film qui a constitué une véritable date dans l’histoire de la science-fiction à l’écran. Mais une fois qu’on a dit ça, on n’a rien dit. Car pour mémoire, Alien sort aux Etats-Unis deux ans après la Guerre des étoiles, autrement dit en pleine vogue du « space opera ». Et face à l’univers fantaisiste et coloré qu’a popularisé (ô combien !) le film de G. Lucas, Alien se présente délibérément comme la peinture réaliste, voire pessimiste, d’un futur crédible auquel nous pouvons adhérer sans trop de peine. En gros, ce que nous montre Ridley Scott, c’est l’envers du décor. L’envers du rêve. Et ceci nous amène directement au cauchemar proprement dit : l’alien.

Le film débute très lentement, ce qui est aujourd’hui sans doute encore plus qu’hier une de ses plus belles qualités stylistiques. Ridley Scott prend le temps de nous promener au sein du milieu clos qui va constituer le principal décor de l’action. Commençant par une vue extérieure du vaisseau spatial lui-même (le bien-nommé Nostromo, en hommage à Conrad, je suppose), sorte d’immense usine de raffinage à peu près aussi exotique qu’une plate-forme pétrolière, il nous en fait ensuite parcourir par caméra interposée les coursives vides, mal entretenues et peu engageantes. Nous passons de la salle des machines au secteur supérieur, poste de commandes et quartiers de l’équipage, avant d’atteindre enfin la salle où les sept « héros » de notre histoire sont plongés dans le sommeil pendant que le vaisseau fonce vers la Terre selon une trajectoire préprogrammée. Cette balade introductive a posé en, disons, 5 minutes, la totalité de l’univers dans lequel s’inscrit Alien. C’est-à-dire une monde à la fois futuriste et familier, où les machines tiennent une place très importante et où, pourtant les différences de classes sont toujours bien présentes, hiérarchisant les relations professionnelles. Car de la même manière que R. Scott nous a tranquillement emmenés des soutes du Nostromo aux quartiers plus pimpants de commandement, la lente scène d’exposition des personnages (leur réveil par l’ordinateur de bord surnommé Maman, le déjeuner commun, la reprise de fonction…) laissera éclater immédiatement le conflit latent entre les mécaniciens et les cols blancs que sont les officiers de navigation. C’est l’une des choses qui rendent ce futur si réaliste. Il est crédible, il fonctionne sur des normes sociales que nous pouvons comprendre, et finalement, ces 7 personnages que nous apprenons à peine à connaître ont beau piloter un engin spatial, ce ne sont jamais que de simples routiers, employés d’une compagnie monolithique.  Bref, c’est vous et moi. On est très loin de l’héroïsme épique de la science-fiction illustrée par La guerre des étoiles. Ridley Scott poursuivra d’ailleurs cette veine de l’anticipation réaliste avec Blade Runner, quelques années plus tard.

Nous sommes donc dans un monde où les personnages n’ont pas le choix : ils font le travail pour lequel ils sont payés. Et lorsque leur ordinateur de bord détecte un message de détresse en provenance d’une planète inconnue, hé bien, l’équipage applique à la lettre les règles de la Compagnie. Comme le dit le capitaine Dallas, c’est comme ça et puis c’est tout. Nos héros, qui ne sont justement pas des héros mais des gens ordinaires, vont essayer au mieux de répondre à cet appel de détresse. Sous les ordres de Dallas, le second Kane, les navigatrices Lambert et Ripley et l’officier scientifique Ash prennent les commandes en passerelle. Les deux derniers membres de l’équipage, Brett et Parker, gagnent la salle des machines.  L’atterrissage ne se passe pas très bien, premier ennui ; deuxième ennui, les 3 membres d’équipage (Dallas, Kane et Lambert) envoyés en exploration pendant que les autres réparent le Nostromo, tombent sur un vaisseau de toute évidence échoué et de toute évidence totalement étranger. C’est la première scène choc du film, la découverte du vaisseau et de sa cargaison. Le temps que tout le monde réalise qu’y pénétrer était une mauvaise idée, le second du Nostromo, Kane, se retrouve avec un parasite accroché au visage. Et je défie quiconque voit ce moment pour la première fois de ne pas sursauter. Alien commence véritablement quand, voulant sauver Kane, ses compagnons le ramènent au Nostromo. Ce faisant, ils introduisent la Bête immonde (c’est vraiment le mot !) dans leur univers si familier et si paisible. Et nous avons à cet instant du film le premier indice (ténu) de qui est le héros de l’histoire, celui auquel le spectateur pourra s’identifier sans risquer de le voir mourir.

Mais nous avons aussi droit à notre deuxième scène choc, celle qui a fait la réputation du film, et aussi celle qui permet ensuite à Ridley Scott de ne plus monter l’horreur autrement que par suggestion. Il s’agit bien sûr de l’éventration interne de Kane par la chose que le parasite a pondu dans sa poitrine. Voilà. C’est une scène terrifiante de bout en bout, la pire que j’ai jamais vue, qui a traumatisé les acteurs au même titre que les spectateurs. Je ne la décrirai pas, parce que je ne pense pas que cela constitue vraiment le meilleur du film. Ce que je trouve particulièrement réussi, par contre, c’est l’état de sidération totale qui frappe les survivants à l’issu de cette scène cauchemardesque. Nous avons peut-être 20 secondes figées qui concluent la mort de Kane, et il m’a toujours semblé que ces 20 secondes s’adressaient directement aux spectateurs. Faisaient que spectateurs et personnages traversaient exactement la même chose. Là encore, le style de Ridley Scott frappe comme un uppercut avec une totale économie de moyens.

A présent, chacun sait que la Bête est là. C’est le troisième chapitre du film, la traque improvisée du monstre qui a tué l’un des leurs. Ce chapitre se conclue par la mort de deux membres supplémentaires d’équipage, dont le capitaine Dallas lui-même, et par la révélation de la trahison d’un troisième. Alien élimine donc à peu près à la moitié du film le personnage que l’on prenait pour le héros. Nous voici pris au dépourvu, incapables désormais de prévoir qui survivra ou non, incapables en fait de savoir si quelqu’un survivra.

La quatrième partie du film pourrait être intitulée : « Fuyons, fuyons ! » ou, comme l’ont fait la plupart des commentateurs, « la Belle et la Bête ». Car Alien se clôt sur un duel épique entre Ripley et le monstre, duel qui la hisse, elle au rang d’héroïne, et qui fait de lui, le réceptacle parfait de toutes les analyses érotico-perverses que l’on voudra bien inventer. Nous quittons alors le monde futuriste que Ridley Scott avait si bien illustré jusque-là. Et nous entrons dans celui du conte, ou de la légende, ou du symbole. Nous entrons dans celui de l’alien proprement dit.



Et c’est bel et bien grâce à son monstre qu'Alien peut prétendre, me semble-t-il, au titre de chef-d’œuvre du genre fantastique. Car en dehors de ses qualités cinématographiques réelles, de sa construction parfaite et de son art du hors-champ, le film a surtout permis l’éclosion à l’écran de la première créature totalement originale mise en scène par ce médium. En d’autres termes, l’Alien de Ridley Scott apparaît  conçu par et pour le cinéma, sans background référentiel, sui generis pourrait-on dire. Un seul film suffit à lui donner non seulement une apparence (encore que cette apparence reste très largement dans l’ombre, contrairement au souvenir que nous en avons), mais aussi toute une histoire, ce qui nous permet de le croire réel. A mes yeux, Alien n’est peut-être pas tout à fait le film de terreur que son synopsis nous vend. Bien plus intéressante est la manière dont est construite l’intrigue, et cette intrigue est le récit de l’enfantement du monstre. De l’œuf à l’âge adulte, littéralement. Le développement de l’alien passe par différents stades bien marqués, qui sont les seuls ressorts de l’action en huis-clos. Tout tourne autour de la prochaine forme qu’il prendra, alors même que jamais nous ne voyons vraiment à l’écran celle qu’il a au moment où les humains l’affrontent. Il est définitivement autre, définitivement terrifiant. Et il est magnifique dans son accomplissement.

    L’alien a été créé par l’artiste suisse H. R. Giger, dont l’une des spécificités est le mélange du mécanique et du biologique, les deux si intiment entrecroisés que le malaise du spectateur ne peut plus s’appuyer sur rien de vraiment perceptible. Indéniablement, ce que nous montre Giger est différent, mais sa fascination pour le squelette, les os et autres structures aisément reconnaissables nous empêche de nier une parenté avec les créatures représentées. Son alien est à la fois extraordinairement physique, issu de notre propre chair, et tissé de caractéristiques insectoïdes  qui nous font pénétrer au cœur de nos plus profonds cauchemars, ceux où l’intégrité physique humaine volerait en éclats. Il est donc, viscéralement, question de corps, de pénétration, de violation et de transformation dans la manière dont H.R. Giger représente l’étranger absolu qu’est l’alien. Matière en constante modification, créature intelligente qui semble vouloir un peu plus que la simple destruction de l’adversaire, qui semble en fait vouloir son assimilation totale, l’alien est la matérialisation de peurs ancestrales qui font de lui l’idéale monstruosité. Et qui lui donnent, je pèse mes mots, sa beauté inattendue. En tant qu’autre, en tant qu’étranger, l’alien symbolise bien le pire de nos craintes, car il est d’abord celui qui abolit toute notion de frontière, et il le fait par le biais du corps.

C’est donc cette créature qui fait d’Alien, le 8ème passager, quelque chose d’entièrement nouveau au cinéma. Et le plus fascinant est sans doute que la généalogie de ce monstre d’exception, sans équivalent dans le 7ème art, sera ensuite déclinée avec une parfaite cohérence par trois réalisateurs aussi différents que James Cameron (Aliens), David Fincher (Alien3) et Jean-Pierre Jeunet (Alien : Resurrection). Nous y apprendrons l’origine des œufs, nous y apprendrons aussi que la forme adulte de l’alien est étroitement liée à celle de son hôte et que s’il semble humanoïde, c’est grâce à nous (brr…), et nous découvrirons toute l’étendue de son intelligence perverse. Le dernier film (à ce stade) boucle la boucle en accordant à l’alien des caractéristiques humaines tout en faisant de Ripley, seule véritable survivante de la confrontation sans cesse renouvelée, un hybride tenant tout autant du monstre que de l’héroïne. Il faudrait, pour être complet, aborder aussi la place très importante tenue par les androïdes dans la quadrilogie, ainsi que la critique sociale inattendue dans ce genre de films et présente sous une forme ou une autre dans chaque volet. Mais ce serait m’éloigner de mon propos, qui était avant tout de souligner l’unicité d’Alien en tant que générateur d’un mythe  purement cinématographique.

 Bérengère.

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