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...:::Ansible:::...

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Tous les territoires de l'imaginaire, en vitesse supra-luminique. Chroniques sur le cinéma, la littérature, les jeux, séries TV, bandes dessinées.

Publié le par Spooky
Publié dans : #Fictions

C’est la nuit d’Halloween…

Je regarde par la fenêtre. Dehors, un voisin vient de jeter une bouteille vide dans une poubelle. Sans doute les agapes d’Halloween. Il y a deux heures des enfants sont venus frapper à la porte pour réclamer des bonbons. Je n’ai pas eu le cœur de refuser. Même si j’ai eu du mal à en trouver, quelques biscuits ont rejoint les monceaux de sucreries qui remplissent leurs paniers…

Moi je n’ai pas le cœur à m’amuser. Car cette nuit d’Halloween éveille en moi de sombres échos, remue de tristes souvenirs… La mélancolie me pousse à me remémorer cette triste époque.

 

 

C’était l’année de mes 17 ans. Elodie était pour moi le centre du monde, à la fois mon soleil, mon noyau, mon monde. Nous étions du même lycée, mais pas du même monde. Elle était magique, aérienne, divine, lumineuse, alors que j’étais un garçon ténébreux, timide, terre-à-terre et maladroit. Nous nous étions rencontrés au cours d’une soirée entre lycéens. Une seule chose nous lia alors : l’ennui. Je ne me souviens plus duquel a engagé la conversation sur la terrasse de l’appartement, mais je sais que s’il n’y avait pas eu un couvre-feu, cela aurait duré toute la nuit, et le jour suivant. Nous avons continué dans la rue, puis devant chez elle. Nous nous sommes revus le lendemain, et tous les jours suivants. C’est comme si nous étions deux parties d’un même ensemble, indissociable, cohérent… c’est très adolescent comme façon de voir les choses ; mais nous étions des adolescents alors. Nous nous sommes aimés, bien sûr. Cela s’est passé quelques jours plus tard, chez moi, à la faveur d’une absence de quelques jours de mes parents. Ce fut un grand moment de tendresse, de passion… de serments en promesses, nous étions bien sûr devenus inséparables, sacrifiant parfois nos amitiés et devoirs sur l’autel de l’amour fou.

 

Et puis Halloween arriva. Bien sûr, Elodie et moi avions prévu de faire une soirée avec quelques-uns de nos amis, une soirée costumée, avec de la musique, des cotillons, quelques substances illicites… Oh, trois fois rien, le genre de truc qu’on a tous essayé à l’adolescence… Elodie était déguisée en sorcière. Elle avait beau s’être maquillé avec toutes sortes de postiches, de fausses verrues, de se balader courbée sous le poids de sa bosse dans le dos, je n’arrivais pas à la trouver laide. Sous les gros yeux cernés de noir, je voyais toujours ces yeux en amande, couleur myosotis. Sous le chapeau pointu, qui avait connu bien d’autres batailles, bien d’autres chevauchées en balai, sous les cheveux filasse se trouvait toujours sa crinière sombre, aile-de-corbeau, qui vient vous caresser doucement le visage lorsqu’elle se tourne vers vous en riant de ce rire cristallin. Ce rire si pur, qu’elle déforme en halètement rauque pour singer la sorcière Plume. Une sorcière de sa création, qu’elle faisait vivre de multiples aventures charmantes (au sens premier du terme). J’étais déguisé en épouvantail. Enfin disons que j’étais habillé différemment de mon habitude. Coiffé d’une énorme citrouille trouée aux endroits stratégiques, j’étais habillé d’une vieille combinaison de mécano bleue de mon père, dans laquelle j’avais fourré de la paille en assez grosse quantité. Et un long bâton passé dans les manches me maintenait les bras constamment à l’horizontale. Ce qui, vous en conviendrez, n’est pas très pratique pour danser. Ou attraper un verre. Ou étreindre la fille qui vous aime.

 

Curieusement, cette particularité m’a peut-être sauvé la vie. Car mes camarades, et Elodie également, en profitaient pour boire un peu, et fumer des substances dont je ne saurais dire le nom. La soirée était bien avancée lorsque la plupart donnaient des signes d’ivresse, ou de vertiges légers. Ca rigolait pas mal dans les coins, j’imagine que ça fricotait aussi. Moi je ne pouvais pas faire grand-chose, à part rire des plaisanteries maladroites des uns, secouer la tête (pas facile, dans une citrouille) aux bêtises des autres, et ouvrir de grands yeux pour contempler celle qui occupait l’immense majorité de mes pensées. Malgré les tentations, elle s’efforçait de ne pas trop consommer, de rester auprès de moi, de discuter comme nous le faisions toujours… Depuis un petit moment, plusieurs de nos camarades s’étaient enfermés dans l’une des pièces de l’appartement. Partouze ? Strip-poker ? Discussion privée ? Tout était possible avec ceux-là, et à vrai dire, je m’en fichais, le seul intérêt que j’avais dans la vie se trouvait devant moi, me souriait, me racontait des histoires envoûtantes…

 

Soudain des cris étouffés se firent entendre. Les rires s’estompèrent, les têtes se tournèrent lentement vers la chambre où s’était enfermé le petit groupe. Une drôle de lueur, rougeâtre, filtrait de dessous la porte. Des chocs sourds commencèrent à se faire entendre, ainsi que des cris stridents. La porte commença à vibrer, puis on sentit que quelqu’un donnait des coups contre le battant. Pour l’ouvrir probablement. Nous étions tous tétanisés, un peu abrutis il est vrai par les vapeurs diverses qui s’étiolaient dans la pièce. Pour ma part, je ne pouvais pas trop bouger.

 

Soudain la porte céda, et plusieurs de nos camarades furent littéralement expulsés dans le salon. Je ne sus alors dire s’il s’agissait de garçons ou de filles, car tous donnaient l’impression d’être passés dans un four à pizza. Tous étaient atrocement brûlés, sur l’intégralité de leur corps. Mais pire que tout, ils n’étaient pas morts. Certains arrivaient encore à gémir, à supplier, à ramper même. Mais nous ne comprenions rien. Je levai la tête vers la porte entrebâillée. Elle s’était ouverte avec tant de violence qu’elle avait buté contre le mur, avant de se rabattre vers l’encadrement. Je n’avais donc qu’une vue partielle de la chambre. Mais cela suffit à me glacer d’effroi. La pièce baignait dans un halo rouge sang, tellement intense que l’on avait l’impression de voir les courants d’air. Certains de mes camarades étaient encore à l’intérieur. Dans des positions impossibles. Suspendus en l’air. Tordus. Un bras énorme, qui n’avait rien d’humain, semblait tenir l’un des cadavres comme si une gueule gigantesque s’apprêtait à l’engloutir. En même temps, un souffle rauque, fait de claquements et de halètements profonds, semblait venir de la chambre, balayant les derniers soupçons de musique, que l’on venait de couper. Mes yeux s’agrandirent d’effroi, mes poils se hérissèrent sur tout mon corps. Je n’étais visiblement pas le seul à commencer à réagir, car je commençai à entendre mes voisines hurler. Je me tournai vers Elodie, pour lui dire de sortir au plus vite de l’appartement. Mais son visage exprima soudain une terreur sans nom, muette. Même comme ça, je n’arrivais pas à la trouver laide. Mais un réflexe primal me fit retourner la tête dans la direction qu’elle désignait, vers la porte… ouverte. Qui avait laissé s’échapper une créature de cauchemar. Sa description ne pourrait que vous apporter que des tourments pour le reste de vos jours. Apparemment la créature avait entendu nos cris, et cela ne lui plut pas. Elle commença à fondre sur nous. Pris de panique, nous commençâmes à courir de tous les côtés, nous heurtant les uns les autres. La créature avalait mes camarades les uns après les autres, en une seule bouchée parfois. Son grondement rauque emplissait toute la pièce.

J’avais réussi à attraper la main d’Elodie pour l’attirer dans un recoin de la grande pièce. Mais hélas, nous n’étions pas les seuls à avoir cette idée. Un de nos camarades trébucha en passant près de nous, et s’étala de tout son long sur moi. J’essayai tant bien que mal de me retenir à une chaise, mais l’élan était trop fort, et je perdis l’équilibre, entraînant Elodie avec moi.

 

Il y eut une seconde d’éternité. Puis un choc immense, quand nous percutâmes la fenêtre qui se trouvait derrière nous. Le fracas était abominable, le grondement du démon se rajoutant aux cris et au bris de verre. Elodie et moi basculâmes dans le vide. De quel étage tombions-nous ? Dans la confusion, mon esprit refusa de délivrer cette information. Deuxième seconde d’éternité. Nos regards se croisèrent. Je ne sais pas ce qu’exprimait le mien, mais celui d’Elodie était éloquent. Elle savait qu’elle allait mourir. Que nous allions mourir ensemble. Son sourire fut la dernière chose que je vis, avant –probablement- de percuter le trottoir.

 

Ce fut le grand trou noir. Je me réveillai dans une chambre d’hôpital, quelques jours plus tard. Les gens parlaient de miraculé. Visiblement, la paille dont j’avais bourré mon costume avait amorti le choc, ce qui fait que je m’en tirai avec de multiples fractures, toutes réduites en l’espace de quelques mois. Mon visage avait subi de sérieux dommages, mais la chirurgie réparatrice avait fait de grands progrès depuis quelques années.

 

Ce qu’il s’était passé ce soir-là avait fait la une des journaux, mais les autorités avaient vite étouffé l’affaire, parlant d’une explosion de gaz. Je mis le temps, mais je finis par découvrir ce qui s’était réellement passé. Le groupe qui s’était enfermé dans la chambre avait voulu faire une invocation satanique. Probablement pour frimer auprès des filles… Autour d’une planche de oui-ja, avec des bougies, quelques signes cabalistiques et des formules proférées à plusieurs reprises, les adolescents avaient entrouvert une porte de l’Enfer. Et un démon s’y était engouffré pour dévorer quelques âmes. Le feu avait commencé à se propager dans l’appartement, parti on ne sait comment, et les pompiers avaient finalement réussi à sauver deux autres enfants du sinistre. Elodie n’était pas parmi eux.

 

C’était la nuit d’Halloween.

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